Bonsoir madame, pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours?Je m’appelle Zouera Youssoufou, Je suis Nigérienne et Nigériane par ma mère. Je gère la fondation DANGOTE depuis janvier 2015. Avant, j’étais représentante de la Banque Mondiale pour la Guinée-Equatoriale, Sao
Tomé et Principe, et le Gabon, basée à Libreville. Avant ca j’étais à l’IFC (International Finance Corporation),la branche de la Banque Mondiale qui s’occupe de l’investissement dans le secteur privé ; là-bas, je dirigeais mon programme axé sur l’entrepreneuriat féminin. J’ai travaille aussi pour Wall Street en tant qu’Analyste de valeurs (Equity Analyst), et par la suite, je suis allée travailler dans mon pays, le Niger.
Comment réussissez-vous la transition d’un secteur purement lié au développement des Etats,
au secteur du développement dans le secteur privé ?
Ce ne fut pas vraiment une transition particulièrement difficile, parce que dans plusieurs autres moments de ma carrière, j’ai travaillé dans le secteur privé. J’ai donc commencé à travailler dans le développement et c’est pour cela que je suis retournée dans mon pays. Au Niger, je travaillais pour l’Union Européenne, sur la problématique de l’utilisation des Institutions de développement afin d’aider les pays. Par la suite, j’ai intégré le secteur privé. J’ai donc travaillé à Wall Street pendant plusieurs années, et là-bas, c’était vraiment
du Capitalisme pur et dur.
A mon passage à la Banque, j’ai pu allier les deux côtés : Secteur privé et secteur public. Je suis alors rentrée dans un rôle qui rassemble ce qui me plaît le plus, à savoir : apporter ma contribution aux plus démunis, en le faisant avec une mentalité du secteur privé. En définitive, ce n’était pas vraiment une transition, mais juste ce que j’aime faire qui se retrouve dans un
seul job.
Certains de vos collaborateurs et partenaires vous reconnaissent beaucoup de rigueur et de discipline. Est-ce là les seuls ingrédients qui font de vous la femme conquérante et battante au
quotidien ?
Je dirais plutôt que ce serait le désir d’être excellente dans tout ce que je fais, même pour les choses les plus élémentaires. Il s’agit de faire mon devoir au mieux de mes capacités. La rigueur, c’est quelque chose qui se développe, et ça vient surtout en éduquant ses enfants. En effet, quand on veut que son enfant travaille bien, on lui dit d’aller faire ses devoirs, etc. Tout ça pour dire que ce n’est pas un hasard. Le hasard ne fait pas les choses. Il faut travailler dur, il faut s’investir à fond. C’est une mentalité qu’il faut toujours garder à l’esprit, surtout dans la vie active : Etre focus sur les résultats et faire les choses avec intégrité. Mon père me disait souvent que tout ce que nous avons, c’est notre intégrité. En
même temps, pour qu’on me fasse confiance pour gérer près de 1,5 millions de dollars, c’est parce que, d’une part, j’ai su mériter cette confiance, par ce que je fais et par comment je le fais.
Quel regard portez-vous sur le parcours des femmes dans le tissu économique des Etats africains ?
Je trouve que les femmes ont fait beaucoup de N°03 2015
Zouera Youssoufou
«La femme ne doit pas hésité à faire entendre sa voix»
12 LEADERSHIP
progrès. Mais de toute les manières, les femmes ont toujours été des battantes. Comme je le disais au début, j’ai passé beaucoup de temps dans le développement de l’entrepreneuriat féminin, principalement en Afrique, et dans certains pays d’Asie. La réalité est que les femmes se sont toujours battues. Les femmes rurales travaillent aussi dur que les hommes, si ce n’est parfois plus. Parce qu’en plus des travaux champêtres, elles ont la charge de la famille, des enfants, faire à manger, gérer le foyer, etc. Donc les femmes ont toujours été travailleuses. Malheureusement, elles ne sont pas toujours dans les rôles qu’on reconnait. Néanmoins, je peux dire que nous sommes de plus en plus dans une phase où on a des femmes chefs d’entreprise, chefs d’Etat ; et tout le monde s’accorde à présent à dire que les femmes peuvent faire comme les hommes, surtout quand il s’agit de travail intellectuel. Je suis d’accord, on ne peut pas soulever les mêmes poids que les hommes, mais à quelque chose près, les femmes peuvent faire
comme les hommes. Ici au Nigeria, par exemple, il y a tellement de femmes qui ont de grosses
entreprises, des micro-finances, qui sont dans l’industrie du pétrole. Une chose est sûre, je pense que les générations actuelles se sentent moins limitées que comme on aurait pu le constater il y a une vingtaine d’années. Le taux d’activité des femmes, selon certaines
statistiques, est significativement inférieur à celui des hommes.
Quel examen faites-vous de cette situation ?
Je dirais qu’en général, même dans les pays dits développés, les femmes gagnent moins que les hommes pour les même heures de travail. C’est le genre d’héritage de cette conception des femmes comme étant moins importante. Je pense que ça vient, en grande partie, du fait que les
femmes ne sont pas nécessairement aussi agressives quand il s’agit de négocier des salaires, par exemple, ou même de se mettre en avant pour un travail. La conséquence de tout ça est qu’elles ont moins de facilité à obtenir des crédits bancaires, ou moins de possibilité à démarrer des activités économiques. Et ça aussi, c’est la conséquence du manque de femmes qui embauchent, de femmes décideurs qui commandent dans des banques ou des institutions financières. Je pense que c’est vraiment dommage. Aussi est-il presque inimaginable pour une femme de voir son collègue faire le même travail qu’elle, mais être pourtant moins payée que lui.En conclusion, les femmes devraient être plus agressives, et ne pas se sentir mal à l’aise lors de la négociation de son salaire et surtout, ne pas hésiter à faire entendre sa voix.
Comment ressentez vous la participation des femmes au développement social en Afrique ?
Les affaires sociales en général concernent la santé, la pauvreté, etc.Toutes ces choses qu’on ne peut pas structurer et qui dépendent des infrastructures. Les femmes s’occupent naturellement de ces choses. Donc, je n’aime pas trop que les ministères des Affaires sociales dans nos pays soient juste une affaire de femmes. Non, c’est le problème de tout le monde. De toute manière, les femmes sont celles qui s’occupent de l’éducation de leurs enfants, de leur bien-être et du foyer. Donc ce sont des choses qu’elles font souvent dans la vie courante, pour ne pas qu’elles soient cantonnées à ça quand il s’agit de contribuer aux affaires de l’Etat. En plus, même les femmes qui n’ont pas été scolarisées, comprennent ce genre de choses. Donc, je ne pense pas que les paramètres sociaux d’un pays ne doivent concerner que les femmes, ça regarde tout le monde.
Comment est-il possible d’identifier l’impact de cette participation ?
Déjà le travail de la femme dans son ménage ne fait pas partie de ce qu’on peut appeler une contribution économique d’un pays, et c’est vraiment dommage. Car en effet, si les hommes
n’avaient pas à leurs côtés des épouses qui gèrent la maison, je ne vois pas comment ils pourraient pleinement se consacrer à leurs carrières. Je me rappelle, j’avais vu dans un musée de femmes artistes, une inscription qui m’a frappée et qui disait, en gros, que, si elle aussi avait une «épouse» à la maison, elle aurait pu se consacrer à son art. Donc le travail des femmes à la maison n’est pas quantifié économiquement, on ne le compte pas. Si on comptabilisait les heures que les mères passent au foyer, et qu’on mettait une valeur économique dessus, je pense qu’on verrait à quel point les femmes contribuent au développement économique de leur pays. Et c’est dommage, parce que si le travail de tout le monde était comptabilisé et quantifié, on serait beaucoup plus avancé.
Pensez-vous que les femmes soient aussi sensibles à leur contribution aux efforts de développement ?
Oui, je pense que ce sont des choses qu’on fait, mais qu’on ne réalise pas nécessairement. En effet, quand une femme se réveille le matin et qu’elle vaque à ses occupations (son entreprise, son travail, son foyer,…), elle ne se dit pas forcement : «Waouh! Je contribue au développement de mon pays.» Donc, je pense que beaucoup de femmes font des choses extraordinaires, sans pour autant se dire que c’est une contribution qui a de la valeur. On rencontre très peu de femmes dans les secteurs dits structurés et très souvent confinées aux activités agricoles.
Pensez-vous qu’il puisse exister des mécanismes de positionnement de l’activité des femmes dans le milieu de l’entreprise ?
Oui, il y a eu beaucoup d’efforts fait dans ce sens. En effet, c’est plusieurs systèmes mis en place, tel que le système de microfinance, qui aide beaucoup de femmes rurales. Je n’ai rien contre cela, mais le domaine d’activité soutenu généralement par la microfinance est assez limité. Néanmoins, c’est vrai que ça vient en aide à ces femmes rurales, qui pourront gagner plus et, par conséquent, veiller aux besoins de leur famille. Concernant le secteur commercial, il est un peu plus difficile d’obtenir un crédit, lorsque le système requiert au préalable un gage. En effet, étant donné que, dans la plupart des foyers, les avoirs de la famille sont au nom du mari, il devient donc difficile de demander un crédit bancaire. Il faudrait mettre en place un système d’évaluation de crédit, qui permettrait à certaines femmes d’emprunter en fonction de leurs capacités de remboursement. Votre mot à l’endroit des femmes entrepreneurs d’Afrique Mon mot pour les femmes entrepreneurs en Afrique, c’est de continuer, ce sont des battantes, elles sont admirables.
L’entrepreneuriat n’est facile pour personne. Mon mari est lui même entrepreneur, ce n’est pas évident, et ça l’est encore moins pour les femmes. Je les encourage et je les respecte. Qu’elles continuent à se battre, et c’est à nous, grandes sœurs de cette nouvelle génération, de les pousser à se battre encore et encore.

The Mag Staff
18 août 2015 at 15 h 42 min
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