Pouvez-vous vous présenter pour notre magazine ?
Je suis Joyce Sagoe Gotta, je suis née le 7 Juin 1978, je suis mariée et
j’ai une fille de 5 ans.
Décrivez-nous votre parcours académique et professionnel.
J’ai fait toutes mes études en Côte-d’Ivoire, passant d’écoles privées
au Primaire jusqu’à des établissements publics, comme le Lycée
classique, au Secondaire. Ensuite, j’ai rejoint l’Institut National
Polytechnique de Yamoussoukro où j’ai fait deux années de cours
préparatoires, pour ensuite rejoindre l’ESCA (Ecole Supérieur de
Commerce d’Abidjan). J’en suis sortie en 2000 avec le diplôme
d’ingénieur commercial spécialisé en marketing.
Après, j’ai eu un parcours qui a été un mix entre marketing pur et
communication publicitaire. J’ai donc une quinzaine d’années
d’expérience en marketing et communication. J’ai travaillé dans
des boîtes, comme Ocean Ogilvy, où j’ai eu à servir des clients
principalement dans le domaine agro-alimentaire et à Nestlé, en
tant que chef de publicité. Ensuite, j’ai rejoint la section marketing
dans les entreprises, comme British American Tobacco en tant que
Brain manager, puis Brain group manager, pour 13 pays d’Afrique de
l’Ouest et du Nord. Après ce parcours, je suis retournée en agence. J’ai
toujours eu cette ambivalence, j’aime beaucoup la communication,
la publicité et le marketing en tant que tel. J’ai donc travaillé en
agence de publicité, précisément dans l’agence Voodoo, en tant que
directrice de clientèle, puis directrice stratégique pour le groupe.
J’étais donc en charge, dans un premier temps, du compte Orange
en Côte-d’Ivoire, et après j’ai eu la chance de travailler pour le groupe
de développement du magazine Life et sur le développement d’une
entité qu’on appelle Events ; mais aussi sur le développement du
portefeuille commercial de Voodoo avec Orange, notamment
ici même au Sénégal avec Alizée Orange, Orange Niger et au
Cameroun. Avec Western Union aussi, avec qui on travaillait pour le
Maroc. Bref, pas mal d’entreprises avec lesquelles on a travaillé, dont
j’étais en charge de la stratégie au niveau du groupe. Par la suite, j’ai
été gentiment appelée par MTN Côte-d’Ivoire, qui venait d’entrer sur
le marché. J’ai trouvé ce challenge intéressant. J’étais sous-directrice
marketing en charge de la partie communication, construction de
marque et notoriété des produits. J’ai fait 5 années là-bas.
Enfin je me suis retrouvée ici au Sénégal pour le compte de TIGO. Ici
aussi, le challenge était à la hauteur, car l’entreprise venait de loin.
Donc depuis Juillet 2014, je suis ici en tant que directrice Marketing.
Comment jugez-vous les compétences des femmes dans le
milieu de l’entreprise. Y a-t-il une croissance réelle, ou faut-il
toujours l’apport des institutions ?
De mon point de vue et en me basant sur mon expérience
personnelle, je pense que c’est plus une question de compétence
que de genre. Pour vous donner l’exemple de l’entreprise où je
suis, des postes comme la direction de la distribution, la direction
financière, la direction marketing, la direction de service client sont
des postes occupés par des femmes. De là où je viens, il y a beaucoup
de femmes à des postes stratégiques. Donc, je pense que de plus en
plus, c’est la compétence qui prévaut. Peut-être qu’il existe encore
des secteurs où ça reste à désirer mais, quand je regarde le secteur
bancaire par exemple, ou des télécommunications, je trouve que les
femmes ont aujourd’hui une place importante. Il est clair qu’il y a
encore des choses à faire et à prouver. C’est une bataille qu’il faut
continuer à mener.
On retrouve de plus en plus de femmes dans le secteur
technique. Néanmoins, pensez-vous que le regard des hommes
sur leur activité ait changé ?
Je pense que les hommes ont accepté. En effet quand je regarde
un peu le niveau des débats qu’on a en entreprise, au niveau des
comités de direction, au niveau même du management en milieu
intermédiaire, ce sont des échanges d’égal à égal. Après, je pense
qu’avec les complexes qui font partie de la vie de tout les jours,
certains individus peuvent encore les développés, et ce n’est
pas valable que pour les hommes. Il existe aussi des femmes qui
développent des complexes naturellement d’infériorité, qui font
que dans un débat, on devient plus susceptible sur un sujet ou
un autre. Mais je ne pense pas réellement qu’aujourd’hui, ce soit
quelque chose qui soit perçu. En effet, les femmes deviennent de
plus en plus pointues, elles ont des postes qu’elles n’avaient pas
auparavant, elles sont de plus en plus respectées pour ce qu’elles
font. Même au niveau des foyers, avant c’était l’homme qui ramenait
tout. Aujourd’hui, le contexte étant différent et avec le système de
parité, ça fait que nous en ramenons tous à la maison. Le regard de
l’homme a beaucoup évolué sur la femme aussi bien dans le milieu
professionnel que dans le milieu privé.
Concernant la migration des compétences féminines en
entreprise, ressentez-vous que cette tendance se développe
au fur et à mesure ?
Je pense que oui, ne serait-ce que par mon propre parcours, où j’ai
quand même migré d’une boîte à une autre. Et quand je regarde
aussi l’évolution de certaines personnes que je connais, des
femmes qui occupent des postes très important dans des secteurs
techniques, etc. il apparaît qu’aujourd’hui se positionner dépend
des compétences. On part à chance égale avec les hommes, et je
pense même que les chefs d’entreprise ont un certain plaisir à
prendre des femmes à certains postes, histoire de challenger les
autres, et voir ce que ça peut apporter. Après, je dis que la balle est
dans notre camp, et c’est à nous de prouver qu’on à la bonne place
et qu’on la mérite. Et ce n’est pas toujours évident parce qu’en plus
de gérer le travail, on gère la famille.
Il y a encore en effet cet aspect équilibre familial qui fait que,
par moments, nous-mêmes, nous faisons des choix parce qu’on
privilégie la famille. Etre en poste dans un pays pour une dizaine
d’années c’est difficile pour une femme ; être souvent dans des
voyages alors qu’on pense à avoir des enfants, c’est difficile aussi,
parce que notre nature même de femme nous impose souvent
des contraintes, si on veut avoir une vie équilibrée. C’est surtout
à ce niveau que ça se joue ; mais pas en termes de facilite à passer
d’une entreprise à l’autre. Si on a les compétences, et si on sait
se battre comme les hommes aux postes qui sont pourvus, le
problème ne se posera pas.
Dans l’évolution de l’entreprise, et même de l’Etat, pensezvous
que les visions de développement doivent reposer sur la
dynamique des femmes ?
Je ne suis pas très partisane de ce courant féministe, qui
revendique à tout prix la femme qui doit être partout. Pour moi,
c’est une question de compétence, de la capacité à gérer. Je suis
pour des débats plus justes et plus équilibrés. Il y a des secteurs
où, effectivement, les femmes sont encore pénalisées (l’éducation
des jeunes filles, la prise en charge des projets sociaux et de
développement des femmes, celles dans les zones rurales, etc.).
Il y a donc encore beaucoup à faire au niveau de l’Etat et de tous
les gouvernements africains d’ailleurs. Ce sont des actions qui
doivent être mises en œuvre. Il est prouvé qu’une femme qui a
toutes les compétences, quand elle gère, elle le fait bien. Donc,
je pense qu’il faut qu’on donne la chance à tout le monde, et ce
n’est pas encore le cas. L’Etat a vraiment un travail à faire au niveau
de la base, à savoir l’éducation, donner les mêmes chances à tout
le monde pour avoir accès à l’éducation et les moyens pour se
former et se développer. Après, quand on arrive au stade où tout
le monde à eu ses chances, je pense que c’est la compétence qui
prime. Mais de manière générale, pour tout ce qui concerne les
droits des femmes, il y a encore beaucoup de choses à faire.
Y a-t-il, selon vous, une possibilité de mesurer l’impact des
politiques genres dans les multinationales aujourd’hui ?
Je trouve cette approche dangereuse, dans le sens où, si on
commence à comparer ce que produit un homme par rapport à
une femme, je n’aime pas l’approche en tant que tel. Je pense qu’on
dirait à diplôme égal, poste équivalent, qu’est-ce que chacun a pu
produire, oui c’est possible ; mais par genre, je ne suis pas partisane
de cette approche. De nos jours, c’est moins une question de voir
si une femme est plus productive qu’un homme à un poste, car
nous avons tous nos forces et nos faiblesses. Je ne vois donc pas
l’intérêt de ce type de mesures. N’importe qui, à un certain niveau
de poste, doit être productif et relever des challenges.
Donc pour moi, tout le travail de développement de genres doit
être fait au niveau de l’éducation, donner les mêmes chances à
tout le monde. Après, j’ai envie de dire que chacun se battra pour
sauver sa place.
Emma Mag
